Le précédent article où je me pose la question de la pertinence de la socialisation « tout azimut » et surtout involontaire, car imposée par la société, a suscité quelques questions intéressantes, auxquelles je crois utile de répondre. Je pourrais camper sur mes positions et en rester là. Mais quand la remarque est judicieuse, un questionnement s’impose. Force est de constater que le précédent article était une bombe dévastatrice dans l’idée que le chien pourrait avoir, en plus de bien des talents, celui de rapprocher les hommes. J’entends l’argument et y adhère. Mais j’y ajoute un timing et une résistance !
Ne croyez pas que je suis ours, à vivre dans ma tanière et ne jamais en sortir. J’avoue avoir douté parfois de l’intérêt de donner des cours, d’en recevoir un paiement alors que les résultats n’étaient pas toujours comme espérés. Maintes fois, je me suis remis en cause. Je me suis réadapté. J’ai eu mes moments d’apaisement et de rechute. Quand on fait ce métier par passion et que notre plaisir est la relation que deux êtres, que tout oppose, doivent tisser, c’est parfois difficile de remarquer que ladite relation n’est que superficielle. Alors, comme tout le monde, j’ai incriminé les maîtres. C’était facile et rassurant. Puis au fil des années, j’ai commencé à réfléchir sur le reste. On ne peut réduire la relation entre un chien et son maître, à ce dernier. La bonne relation entre un chien et son maître dépend de plusieurs cercles, indissociables les uns des autres.
Tout d’abord, l’éleveur. Son travail, bon ou mauvais, aura un impact sur la relation.Puis, le maître et sa famille, qui parfois, peut être plus difficile à canaliser que ne l’est la société ! Imaginez. Puis, les intervenants, vétérinaires, éducateurs et autres professionnels qui donnent tous un avis en parfaite contradiction. Et enfin l’environnement, les congénères et les « passants éclairés ». Plus riche il sera, plus difficile sera la connexion. Car l’attention se perd dans la distraction.

Ces 5 cercles, en y intégrant la famille du maître,
forgeront la future relation.

 

Le premier cercle dépend de la qualité et de l’éthique de l’homme qui produira les chiots. Nous n’y avons pas, en tant que maître, accès. Le travail est cloisonné, à huit clos. Le maître devra faire confiance à ce professionnel, sans savoir si la conduite de l’élevage correspondra à ses attentes. C’est la première incertitude à la future relation.

Le second cercle est le maître. Son choix est-il judicieux ? La race est-elle adaptée à son mode de vie, à son caractère, à son environnement ? Est-il prêt à recevoir ce cadeau ? En a-t-il mesuré toutes les implications ? Est-ce un achat réfléchi ou impulsif ? Est-il ostentatoire ou au contraire discret, farouche ?

Le troisième cercle
sera la famille. Les enfants, le, (la) conjoint(e), le tempérament de chacun qui forme cette famille. Comment les uns et les autres se représente le chiot, puis le chien. L’impact qu’ils auront sur la relation.

Le quatrième cercle
est le prestataire. L’éducateur a-t-il le discours, la pédagogie qu’il faut ? La vision du club est-elle dans la logique de ce que recherche le maître. Son contenu est-il adapté à ce maître, cette famille ? Les conseils des uns ne sont-ils pas en contradiction avec les conseils des autres prestataires, vétérinaires, magasins spécialisés, qui sont surtout spécialisés dans le marketing et la vente (!). Je rajouterais dans la vente de merdiers, qui rapporte plus à l’animalerie que ça n’apporte à la relation !

Enfin le cinquième et dernier cercle
, l’environnement. C’est le plus impactant, en ce qui concerne la relation. On y croise de tout et pas forcément que du bon. Il faudra faire le tri et savoir s’en prémunir.
Dans mon dernier article, je vous conseillais donc de fuir l’environnement en adoptant une sorte de «repli social». Enfin, on ne peut pas fuir l’endroit où nous vivons. Quand je parle d’environnement, je parle de ceux qui le composent, de ce qui le compose.
Pourquoi et quand ? Parce qu’il est difficile de le maîtriser, de maîtriser l’autre, les autres. Éviter est plus facile que de s’y confronter.
Mais jusqu’à quand ? Le temps d’établir la relation entre un maître et son chien. Le temps de nourrir favorablement le lien. Le temps que s’atténue cette pulsion épistémophilique, qui accapare l’attention du chiot et ne lui permet pas la simple rencontre avec le maître. Et plus important encore, le temps que la société se détourne ou détourne le regard, car le chiot n’en est plus un.
Certains me diront qu’il est parfois formateur de socialiser un chiot, qui manque de pré-socialisation. Évidemment. Mais sous le contrôle d’un professionnel. Sous le contrôle de quelqu’un qui établira un vrai protocole, où la progression sera définie en fonction du chiot « à soigner ». Pas en laissant ce pouvoir à la société qui n’a d’approche que celle de vouloir se faire plaisir ! Quand un chiot manque de pré-socialisation, il y a des étapes à ne pas transgresser. Confier le soin de cette tâche à la société, c’est un peu comme donner carte blanche à un marabout pour soigner son cancer !
Et qu’en est-il du chiot sursocialisé, qui pratique l’école du chiot ? Que peut-on dire de ces clubs, qui pensent que la relation aux congénères est plus importante que celle que le chiot devrait vouer à son maître ? Je tiens à préciser que le chien devra vivre au sein d’une famille, elle-même imbriquée dans un tout que l’on appelle « société ». Encore hier, une dame qui s’est procurée un chiot chez nous, nous appelle pour nous demander comment faire pour canaliser son chiot, qui ne sait se maîtriser en présence de congénères. Elle a adhéré à un club, qui alterne travail avec le maître et jeu avec ses congénères ! Avec le maître « on bosse ». Avec les congénères « on s’éclate ». Je suis désolé mais il faut m’expliquer la cohérence ou pertinence de cette méthode !
C’est un peu comme si je voulais travailler avec ma femme la fidélité. Nous sommes tous les deux, main dans la main, les yeux dans les yeux, mais entourés de quelques « congénères féminines », bien roulées. J’en étais où. J’ai perdu le fil à « bien roulées ». Ah oui ! Après avoir fait quelques exercices de fidélité auprès de ma femme, celle-ci me libère et m’autorise à aller jouer avec mes congénères. Je n’ignore pas que je manque de socialisation, mais je doute fort que cette méthode nous rapproche.
On travaille sur la relation exclusive avec le maître et on récompense le chiot en l’autorisant à l’appliquer sur ses congénères ! Qu’avons-nous conseiller à cette dame ? Fuyez. Elle recherche de l’affection, une sorte d’exclusivité. On lui vend, car elle paye, de la dispersion sentimentale. Continuer à pratiquer ce genre de méthode, c’est oublié que la société à évoluer, c’est oublié que le chien est devenu pour bien des maîtres, un pansement, une rustine à leur solitude, un palliatif à l’individualisme et l’égoïsme.
Pour finir, je comprends, je ne suis pas idiot, que la relation aux congénères n’est pas à occulter. On est bien d’accord qu’à un moment ou un autre nous y seront confrontés. Qu’il est donc important de « préparer » le chiot, le chien à cette rencontre. Quand le chiot aura maîtrisé ses pulsions, ses envies, rencontrer les congénères, permets aux hommes et femmes de se rencontrer elles-aussi. Le chien est un lien social fort. Il peut être un prétexte à la rencontre. Peut-être même peut-il être un médicament à notre indifférence, à nos différences ?
Mais au départ, il faut nourrir le lien que deux êtres différents doivent développer. Aujourd’hui, la « cynotechnie » est tournée sur l’environnement, les congénères. Les programmes sont axés sur l’extérieur, qui semble plus important que l’intérieur de la relation, qui doit offrir à l’un comme à l’autre des protagonistes, qui forme le binôme homme-chien, le bonheur d’être ensemble. Les 5 cercles de la relation feront le lien. Le maître ne sera donc pas le seul responsable de son échec. Mais il sera responsable des choix qu’il a fait et du résultat où l’auront mené ses choix. A lui d’être vigilant et de savoir ce qu’il désire. Si son désir est d’avoir un chien qui n’a d’yeux que pour lui, tout en endurant paisiblement l’environnement, il devra chercher un professionnel qui accède à ses attentes.
Bref, pour reprendre ma comparaison, je n’ai aucun doute du plaisir que beaucoup de femmes pourraient me donner, mais combien d’entre-elles ont été capables de me rendre heureux ! Car le plaisir n’est pas le bonheur. Je vous laisse méditer en vous souhaitant un bon dimanche.

Etienne Girardet D’Entre chien et Vous

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