Comme je vous le disais l’autre jour, l’excitation du chien, qui bascule dans l’exubérance est une plaie pour les maîtres, qui du coup, ont du mal à le canaliser. Plus le chien sera grand et exubérant, plus le maître risque d’être dépassé. Le centre de gravité du chien étant bas et sa propulsion étant arrière, chaque démarrage peut conduire à des chocs, qui déclenchent chez le maître des traumatismes musculaires, des tendinites, qui altèrent la relation et qui ne donne plus aucun plaisir à la balade mutuelle. On peut même en arriver à ne plus supporter son chien.

  • A qui la faute ? Chien ou homme ?
  • Pourquoi le chiot, bien dans ses pattes, veut tout saisir ?
  • Pourquoi ne se contente-t-il pas de son maître près de lui, qu’il vient de retrouver après une journée de travail ?
  • Ce maître ne lui convient-il pas ?

Comme écrit dans le précédent article, l’environnement, les passants, enfin ceux que l’on croise, ont une grande part de responsabilité. L’environnement «trop bienveillant » pousse le chiot à la désobéissance, puisque celle-ci est renforcée par les caresses, les mots doux qu’autrui distribuent. Mais l’environnement n’est pas le seul fautif. Un autre phénomène « intérieur » celui-là, pousse le chiot à la conquête de son milieu. On attribue souvent la propension du chiot, puis du chien, à tirer, à vouloir « conquérir » ce qu’il convoite à de l’opportunisme. Bien que je l’utilisasse encore hier, j’ai décidé de bannir cette expression de mes qualificatifs canins. Le chiot n’est pas opportuniste. L’homme l’est. L’opportunisme n’est pas une qualité. C’est une attitude péjorative qui pousse l’homme à saisir une chance ou une occasion dans son intérêt, comprenez « pour sa gueule » ! Même si l’homme a une bouche et que le mot « gueule » sied au chien, c’est bien du premier dont on parle. Le chien ne calcule pas, du moins pas le chiot. Après qu’il tire et tente de saisir sa chance pour une caresse et le plaisir à la recevoir, n’est pas de l’opportunisme, mais un apprentissage à l’envers. C’est une erreur d’éducation. L’opportunisme est un calcul humain, qu’il puise dans l’ambition qui l’anime. Évitons, s’il vous plait, « l’animalomorphisme », expression inventée qui consiste à attribuer, à prêter au chien des défauts humains ! La nature est plus intelligente et beaucoup plus « empathique » que ne le sera jamais l’homme. Alors cessons les raccourcis !
Mais s’il n’est pas opportuniste et que son attitude nous le suggère, comment peut-on définir son comportement ?

 

« La pulsion épistémophilique »

 

La pulsion épistémophilique ou la pulsion du savoir, comme décrit par les travaux de Mélanie Klein, qui est allé plus loin que son mentor Freud et par de nombreux autres psychanalystes, qui eux sont allés, encore plus loin. Pour faire simple, (très simple, euh, honteusement simple, car c’est compliqué), cette pulsion pousse les petits mammifères, que l’humain est aussi, à apprendre, à vouloir connaître, comprendre ce qui l’entoure. Cette pulsion nourrit notre curiosité, qui elle-même nous permet, non seulement notre intégration, en apprenant les codes de notre propre espèce, mais aussi de construire notre individualité, notre «moi». Dit autrement, de construire une forme d’autonomie, d’indépendance à l’égard de tout ce qui nous environne.

« Cette pulsion n’est donc pas de l’opportunisme pour chercher à prendre, mais plutôt de la curiosité pour chercher à apprendre, à comprendre ! »

La curiosité, quand elle est intellectuelle, n’a jamais été un défaut ! Au contraire, elle est une qualité essentielle, indispensable à la construction du petit mammifère. L’homme et disons-le, l’éducateur canin, y voit de l’opportunisme, comme pour légitimer la méthode qu’il adoptera, comme pour noircir le tableau en justifiant les moyens. Il est plus confortable de guérir le chiot d’une tare, d’un défaut, d’une sorte d’infirmité, que de reconnaître en lui, une propension naturelle, qui, canalisée, nous permettra un apprentissage plus judicieux. C’est pourquoi l’environnement est déterminant, est le plus important et le plus difficile à gérer. Un environnement maîtrisé est la clé majeure d’une éducation réussie. L’inconvénient, comme survolé dans le précédent article, l’environnement est indomptable, difficilement canalisable, monstrueusement pernicieux, définitivement contre-productif. Autrui est indiscipliné. Autrui prend, se fait plaisir, joue sans réfléchir. Autrui, j’entends l’homme, le passant que nous croiserons, est lui opportuniste. Il saisit l’opportunité de se faire plaisir, sans se demander si son geste « impoli », intrusif, aura des conséquences sur l’éducation du chiot, aura des conséquences sur la relation que le maître et le chien développeront. Se faire plaisir est de l’opportunisme et surtout de l’égoïsme et c’est bien un défaut humain. CQFD !!!

  • Oui, c’est bien Girardet, encore un brûlot sur la société, sur les autres, sur nos méthodes, mais toi, connard, que préconises-tu ?
  • J’hésite. Je sens que ça ne va pas vous plaire !
  • Alors fermes-la.
  • Bon. Puisqu’on m’y invite gentiment, je l’écris : « Le repli social ».

Planquez-vous avec votre chiot, cachez-le. Fuyez les opportunistes. Tant que la société, l’environnement n’est pas maîtrisé, tant qu’il ne sera pas maîtrisable, fuyez-le ! L’ennui, c’est que les professionnels conseillent l’inverse. Sortez-le en ville, laissez-le caresser pour qu’il se socialise. Mettez-le avec d’autres chiens, des chiots. (C’est un bon conseil, si le chiot est carencé, déviant, mais pas s’il vient de chez moi ou dans de bons élevages et il y en a beaucoup) Bref, continuez de le détourner du maître, au profit de la société. Si je prends mon exemple personnel, je suis né dans une écurie, à la campagne (J’enjolive et sacralise mon propos), perdu dans une nature profonde, où nous n’avions pas de contact avec la société urbaine. Donc aucun moyen de me socialiser. Personne qui ne s’est penché sur mon berceau pour me flatter, me tapoter la joue en pérorant un sympathique « oh qu’il est beau ».

Suis-je asocial ?

A l’adolescence, aucune jolie fille n’est venue dans la rue m’accoster, me sauter dans les bras en criant : « C’est lui que je veux. Il est trop mignon » ! Je ne crois pas que j’aurais dit non !

Suis-je asocial ?

Bien que je n’aie pas été socialisé à l’excès, je peux tenir une conversation avec les autres, sans pour autant vouloir les fuir ou les frapper ! Pourquoi la société s’interdit de venir tripoter nos gosses et ne se gêne pas de venir papouiller nos chiots ? Dit autrement. Pourquoi le maître accepte-il ce comportement pour son chiot, alors qu’il ne le supporterait pas pour son gosse ? On l’a vu précédemment (Rivalité ostentatoire, « on se la pète »).

Quand le maître arrêtera de vouloir montrer, quand il arrivera à gérer ses émotions, son ostentation; quand la société apprendra à respecter l’autre, les autres, sans vouloir être « opportuniste » et saisir ce qui lui fait plaisir, par une sorte d’hédonisme irrespectueux; quand la profession arrêtera de tout mélanger et de généraliser la sursocialisation, nous réglerons beaucoup de déviances, de problèmes.

Nous ne supprimerons pas la rééducation, j’en conviens, il y aura toujours des cas à réparer, mais nous l’atténuerons. Nous ne supprimerons pas l’abandon, mais nous pourrions une bonne fois pour toute, inverser sa courbe.
Le maître n’est pas le seul responsable. La mauvaise éducation est multifactorielle. Plus vite nous l’admettrons, plus vite nous y remédierons. L’environnement a de lourdes responsabilités. Le comportement des autres impacte fortement l’éducation de nos chiots. Si nous voulons supprimer tout ce qui nous fait horreur, tout ce qui nous est insupportable, l’abandon, l’euthanasie, la rééducation, (les méthodes « barbares pour citer les extrémistes), nous devrons en tant que maîtres, faire preuve d’un peu de modestie, en tant qu’éducateur, allez au delà de nos croyances et en tant que citoyen, user de respect en gérant son désir de foutre la merde !! D’où l’intérêt de créer un collectif de professionnels qui s’attellera à une vision plus adaptable en rendant l’environnement plus gérable. L’éducateur canin a ce potentiel.

A suivre.

Etienne Girardet, Entre chien et Vous.

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